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Les avocats ont-ils pu se préparer au confinement ?

Pour faire face au confinement déclaré le 16 mars, les avocats de l’hexagone ont parfois été pris de cours, bousculant leur organisation et les affaires de leurs clients.

« On était préparés car on avait anticipé de pouvoir se connecter de l’extérieur », indique Maître Anne Alcaraz, associée-gérante et co-fondatrice VINCI Avocats, qui reconnaît que le cabinet a été un peu surpris par l’annonce du confinement le lundi soir pour le mardi midi. « On ne pensait pas que ce serait aussi rapide. »

Les avocats ne sont pas novices en matière de télétravail, puisqu’il est loin d’être rare qu’ils fassent déborder le temps de travail à la maison.

Nous avons la chance d’être une profession avec des avocats libéraux, qui travaillent souvent le week-end de chez eux. Au sein de cabinet, nous avions quelques mises en place de télétravail déjà en route, le confinement n’a fait qu’intensifier le mouvement, précise Maître Alcaraz avec philosophie.

Même son de cloche pour Maître Nicolas Porte : « Au sein du cabinet, on a la chance d’avoir des logiciels extrêmement performants et j’ai tout ce qu’il faut chez moi pour travailler. » L’avocat au barreau de Paris reconnaît cependant que « pour d’autres confrères qui sont moins digitalisés, c’est forcément plus compliqué ».

Loin de l’organisation du télétravail, les préoccupations de Maître Guillaume Florimond étaient ailleurs. A-t-il eu suffisamment de temps pour se préparer avant le confinement ? « Clairement, non. » En effet, face à des informations contradictoires sur la fermeture des tribunaux, l’avocat en droit commercial a été contraint de prendre une décision :

Toujours par prudence et ne sachant pas si les tribunaux fermaient complètement, nous avons demandé des renvois dans tous les autres dossiers devant être plaidés cette semaine là.

Le cabinet a ainsi envoyé un message à ses clients pour les informer de la situation. « Ils n’étaient pas au courant de la fermeture des tribunaux, mais ils en comprenaient la raison », précise Guillaume Florimond. La principale inquiétude de ses clients :

La durée de leur procédure, car la fermeture des tribunaux succède à une période d’activité juridictionnelle réduite, depuis début 2020, en raison de la « grève » des avocats contre la réforme des retraites.

Reprise des audiences, dates de renvoi des affaires, tenue des vacances judiciaires… « Tout cela suscite une certaine angoisse chez nos clients, et chez nous qui ne pouvons répondre à leurs interrogations », alerte Maître Florimond.

Télétravail, vidéoconférence… Quelle organisation est mise en place ?

Désormais généralisé à un maximum de la population, le télétravail a pris de court une partie des avocats, tandis que d’autres ont pu capitaliser sur des moyens déjà mis en place dans leur structure. L’occasion de conserver des moyens de communication efficaces avec ses clients.

Pour Maître Porte, « on s’en sort tout aussi bien avec le téléphone et la vidéoconférence qu’en entretien physique », qui de toute façon, selon lui, « se marginalise un peu, même s’il reste bien pour un premier rendez-vous ».

Pour son cabinet, la vidéoconférence n’est pas une nouveauté, mais risque de prendre de l’essor après la crise du Covid-19 :

Nous allons augmenter l’utilisation de ces outils par la suite car nous nous sommes rendus compte de la puissance de ce système. Nicolas Porte constate même qu’il aurait pu proposer la visio depuis longtemps pour éviter de perdre du temps, mais de relativiser qu’il sera désormais possible de proposer la vidéoconférence plus facilement aux clients qui n’étaient pas convaincus jusqu’à présent, préférant les rendez-vous physiques.

Bon à savoir :

Lire aussi : Avocat, comment s’occuper lorsqu’on est bloqué chez soi ?

Avec l’ensemble des collaborateurs chez eux en télétravail, Maître Alcaraz explique qu’ils « se retrouvent lors de conférences téléphoniques à trente tous les lundis, afin de garder les bonnes habitudes du cabinet ». L’entrain pour la vidéoconférence est également au rendez-vous au sein du cabinet VINCI Avocats. « Même si à la base, la visioconférence n’est pas essentielle, notamment pour des clients qu’on connaît depuis longtemps et qu’il n’est pas nécessaire de voir souvent, indique Anne Alcaraz, cela a quand même du sens d’avoir des contacts avec image. Cela apporte plus d’humanité ». Une nécessité en temps de confinement.

Pour Maître Raphaël Chekroun, avocat au Barreau de La Rochelle – Rochefort, son cabinet « est déjà assez bien équipé en matière de visioconférence, y ayant recours pour échanger avec des clients qui [les] mandatent depuis l’autre bout de la France ». Pour autant, si les outils vidéos sont en place, il y a « assez peu recours », préférant la téléconférence, tout aussi fonctionnelle.

Pour les nouveaux clients, nous pouvons utiliser Skype ou FaceTime pour des réunions en visioconférence, explique Guillaume Florimond, mais cela ne remplace par une rencontre physique. C’est parfait, en revanche, pour les situations d’urgence ». Pour l’avocat, « c’est une manière viable de travailler, qui complète sans totalement remplacer les façons anciennes.

Des justiciables en quête de conseils juridiques ?

En plein confinement, une bonne organisation est indispensable pour les avocats puisque leur travail est loin de s’arrêter. En effet, les entreprises, comme les particuliers, se posent énormément de question par rapport à leur situation et leur avenir.

Nous sommes beaucoup sollicités concernant le licenciement économique. Nous l’étions très peu avant et cela redevient un des sujets phares, souligne Anne Alcaraz, qui précise que ce n’est généralement pas une demande de mise en route, mais une demande d’information liée à l’angoisse.

Un besoin également exprimé par les clients de Maître Nicolas Porte, spécialisé en droit du travail : « Il y a une vraie explosion des demandes en droit du travail, de la part des entreprises ou des salariés qui veulent connaître leurs droits et leurs devoirs » dans le cadre de cette crise. « On me sollicite pour des problématiques d’activité partielle, de congés payés (imposés),  précise l’avocat, mais également concernant l’interprétation des différents projets d’ordonnance qui vont arriver ».

Les questions des justiciables ne concernent cependant pas que le droit du travail, comme en a fait l’expérience Maître Chekroun : « nous sommes beaucoup moins sollicités pour de nouveaux dossiers ». Mais l’avocat voit émerger de nouvelles demandes de justiciables en lien « avec les nombreux contrôles de police et gendarmerie, pour des amendes qu’ils estiment abusives ».

Bon à savoir :

Raphaël Chekroun reçoit également « beaucoup d’appels de personnes avec des échéances judiciaires qui approchent, par exemple en fin avril, début mai, voire même en juin ». Preuve de l’inquiétude des justiciables de conséquences importantes sur l’engorgement des tribunaux à l’issue du confinement.

Quel sera l’impact du Covid-19 sur l’activité des avocats ?

Les conséquences de la crise du coronavirus ne seront pas les mêmes pour tous les cabinets, qui ne sont pas logés à la même enseigne. Tandis que les avocats faisant majoritairement du conseil vont pouvoir continuer de travailler à distance avec leurs clients, tout en répondant à de nouvelles problématiques, c’est une autre paire de manches pour les avocats traitant des dossiers contentieux.

La fermeture des tribunaux nous a fait perdre toute visibilité sur les calendriers de procédure, s’inquiète Maître Florimond. Dans de nombreux dossiers contentieux, une provision est demandée à l’ouverture du dossier, puis la facture intervient après l’audience. S’il n’y a pas d’audience, il n’y a pas de facture…

Même constat pour Raphaël Chekroun : « Le fait qu’il n’y ait pas d’audiences, c’est comme si on ne finissait pas les chantiers dans le BTP. Nos clients ne paient que quand l’affaire est terminée. » L’avocat prédit qu’il y aura « forcément des conséquences économiques sur les cabinets d’avocats », pour le moment difficiles à évaluer pour lui-même. « On est qu’au début mais on va très clairement avoir une perte de revenu notable », d’autant plus « qu’on rentre beaucoup moins de nouveau dossiers ».

En matière de nouveaux dossiers, Guillaume Florimond est également inquiet :

Nos clients habituels continuent de nous en envoyer : ils nous connaissent et nous font confiance, nous pouvons en discuter par téléphone et courrier électronique. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’ouvrir un dossier pour un nouveau client, que nous n’avons jamais rencontré en personne. L’intuitu personae attaché à notre profession se satisfait mal de l’absence de rencontre physique…

Pour faire face aux difficultés financières qui se présagent (s’ajoutent aux difficultés de facturation le financement du local mais aussi le règlement des personnels du cabinet), quid des aides aux entreprises et indépendants annoncées par le gouvernement ?

J’ai tendance à me méfier des effets d’annonce, prévient Maître Chekroun. On parle beaucoup des reports de cotisations, mais tôt ou tard il faudra bien les payer. Vivre à crédit n’est pas forcément la meilleure solution.

 

Les avocats sont-ils bien accompagnés par les instances officielles ?

Face à une crise sans précédent faisant suite à une grève de la profession pendant plusieurs mois, le Conseil National des Barreaux (CNB) et les Ordres des avocats sont-ils au rendez-vous ?

Pré-confinement, « nous n’avons pas été avisés à temps que les tribunaux allaient fermer », signale Maître Alcaraz, obligeant certains de ses collaborateurs à « s’en rendre compte le jour même, devant la porte du tribunal ».

Pour autant, depuis le 17 mars, les instances officielles ont plus que rattrapé leur retard et communiquent de manière intensive auprès des avocats, comme l’explique Guillaume Florimond :

Je crois que nous en sommes, au moment où je vous parle, au 32ème communiqué et au 6ème “flash-info“ du Barreau de Paris. Nous sommes bien informés de l’évolution de la situation. 

Une communication très présente, mais insuffisante selon Nicolas Porte : « on reçoit des tonnes d’emails de la part du CNB mais qui n’apportent pas vraiment de réponse particulière à des problématiques réelles », bien que l’avocat reconnaisse leur utilité pour ses confrères.

Un avis partagé par Maître Florimond :

Rien de tout cela n’aide véritablement au télétravail. Il faut bien comprendre que la capacité à “télétravailler” dépend de chaque cabinet. Il prend alors pour exemple les cabinets dont l’activité principale est le contentieux [qui] sont probablement plus touchés que ceux qui se consacrent avant tout au conseil, en raison de la fermeture des tribunaux et de l’annulation des audiences.

Et Guillaume Florimond de conclure : « Je pense – et j’espère – que cette crise sanitaire changera nos façons de travailler et que, dans les années à venir, des infrastructures européennes et françaises nous rendront moins dépendants des entreprises américaines. »

Avocats, partagez votre témoignage ?

Comme la plupart des avocats, vous êtes très certainement affecté dans votre vie personnelle et professionnelle par la crise liée à l’épidémie de coronavirus.

Parce que Justifit reste à vos côtés, pour le meilleur et pour le pire, nous avons envie de savoir comment votre quotidien est affecté.

Bon à savoir :

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