[Interview] Pro bono, éthique et transmission : Maître Francis Teitgen défend une vision engagée et humaniste du métier d’avocat
Maître Teitgen, ancien bâtonnier de Paris, livre une réflexion forte sur le rôle sociétal de l’avocat et l’importance du pro bono.
Un avocat est-il seulement un technicien du droit ? Pour Maître Francis Teitgen, ancien bâtonnier du barreau de Paris et avocat en droit pénal des affaires, la réponse est claire : non. Dans cet échange, il défend un engagement professionnel ancré dans le désintéressement, le pro bono et la transmission de valeurs aux jeunes générations. Une prise de parole lucide et essentielle dans un monde juridique en mutation.
À retenir
Le pro bono est une composante essentielle du métier d’avocat, selon Maître Teitgen. Il s’agit d’un engagement qui peut être institutionnel, personnel ou culturel. Ce désintéressement renforce la légitimité de la profession et l’accès au droit.
- Le pro bono fait partie des valeurs fondamentales de la profession.
- L’ordre des avocats de Paris soutient des actions concrètes de solidarité.
- Les cabinets anglo-saxons structurent et valorisent davantage ces pratiques.
- L’avocat est aussi un acteur social et culturel, pas seulement juridique.
- Des figures comme Henri Leclerc ou Robert Badinter incarnent cet engagement.
Le pro bono, une tradition vivante du barreau de Paris
Maître Teitgen a contribué à la création du Bus de la solidarité, lancé par l’ordre des avocats de Paris. Il s’agit d’un dispositif itinérant offrant des consultations juridiques gratuites aux personnes précaires, le soir dans les rues de la capitale.
Mais le pro bono va plus loin. Il s’exprime aussi :
- Dans les permanences gratuites organisées en mairie,
- Dans l’accompagnement d’associations ou d’ONG,
- Dans des actions individuelles discrètes, portées par des avocats militants.
Un engagement personnel qui ne se revendique pas
« Il ne faut pas faire du pro bono pour s’afficher, mais parce qu’on y croit. »
Francis Teitgen ne se met pas en avant, mais son parcours parle pour lui. Il a défendu, à titre gracieux, des condamnés à mort aux États-Unis, soutenu par son cabinet. Il est également mécène d’un projet culturel, la Société Marseillaise des Amis de Chopin, qui assure une excellente programmation musicale et donne une chance à deux jeunes talents qui peuvent se produire en public.
Pourquoi les cabinets anglo-saxons valorisent mieux le pro bono
Dans les grands cabinets anglo-saxons, le pro bono est :
- Intégré à la stratégie du cabinet,
- Structuré avec des équipes dédiées,
- Valorisé comme un levier d’image de marque.
« Le pro bono, aux États-Unis, c’est aussi du marketing. Chez nous, on est plus pudique. » — Me Teitgen
Il y a même une forme de compétition entre cabinets pour savoir qui s’engagera le plus. Ce modèle a inspiré certaines structures françaises, mais reste encore peu développé.
Rentabilité vs engagement : l’équilibre à trouver
Pour Maître Teitgen, les jeunes avocats veulent s’engager, mais se heurtent souvent à la pression économique imposée par les cabinets.
« Il faut que les cabinets laissent un espace. Qu’ils n’empêchent pas, mais qu’ils encadrent. »
- Prévoir une quantité d’heures pro bono dans les objectifs annuels,
- Encourager les actions bénévoles pendant les périodes creuses,
- Valoriser ces engagements lors des évaluations internes.
Pour Francis Teitgen, le pro bono est aussi une vision du métier. Il insiste sur l’importance pour les avocats de comprendre leur époque, de s’impliquer dans la cité, et de défendre l’intérêt général, pas uniquement celui de leurs clients.
« Un avocat qui ne s’intéresse pas à la société est un mauvais avocat. »
Cette phrase résume sa conviction : l’excellence juridique ne suffit pas. Il faut aussi une conscience, une éthique, et une ouverture.
Transmettre une culture de l’engagement
A titre d’exemple pour les jeunes générations, Maître Teitgen cite deux figures majeures :
- Henri Leclerc, président de la Ligue des Droits de l’Homme,
- Robert Badinter, avocat d’affaires et militant contre la peine de mort.
La profession doit transmettre cette culture, en valorisant non seulement les compétences techniques, mais aussi les valeurs fondatrices du métier.
Conclusion
Pour Maître Teitgen, le pro bono est l’ADN même du métier d’avocat. Il doit être reconnu, structuré, transmis, et pratiqué à tous les niveaux : individuel, collectif, institutionnel et culturel. L’engagement n’est pas une option : c’est une responsabilité.
Points clés à retenir :
- Le pro bono est un pilier éthique de la profession d’avocat.
- Le barreau de Paris soutient activement les actions solidaires.
- La rentabilité des heures de travail des avocats est le frein principal à l’engagement.
- Les cabinets anglo-saxons en ont fait un véritable outil marketing afin de valoriser leur image
- Il faut transmettre cette culture aux jeunes générations.
Des figures comme Badinter ou Leclerc montrent que l’engagement et l’excellence juridique sont compatibles.
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