[Enquête] Égalité dans les cabinets d’avocats : où en est-on vraiment ?
Rémunération, parentalité, évolution… Que reste-t-il des promesses d’égalité dans la profession d’avocat ? Justifit a mené l’enquête. Les résultats sont éloquents.
Malgré la féminisation croissante de la profession, l’égalité entre femmes et hommes dans les cabinets d’avocats reste un chantier inachevé.
Pour dresser un état des lieux concret, Justifit a lancé une enquête indépendante en mars 2025, auprès de 41 avocat(e)s partout en France, tous statuts confondus.
Parmi les répondant(e)s :
- 56 % sont des hommes, 44 % des femmes
- 63 % exercent en province, 37 % à Paris
- Avocats individuels, collaborateur(trice)s, salarié(e)s ou associé(e)s représentés
Ce que révèle cette enquête : au-delà des perceptions, l’inégalité est vécue, quantifiable et renforcée par des mécanismes structurels.
À retenir
Notre enquête révèle que l’égalité dans la profession reste largement perçue comme incomplète, avec de fortes différences selon le genre et la localisation :
- 65 % des avocat(e)s interrogé(e)s perçoivent un écart salarial dont 79 % des femmes, contre 51 % des hommes
- 73 % jugent que les hommes ont plus d’opportunités de carrière — ce taux monte à 85 % parmi les femmes
- 69 % des avocats en province jugent que les femmes sont moins bien traitées, contre 48 % à Paris
- 82 % considèrent que la parentalité freine principalement la carrière des femmes
- 58 % déclarent qu’il n’y a pas de parité parmi les associés dans leur cabinet
- 42 % affirment que leur cabinet n’a mis en place aucune mesure concrète pour promouvoir l’égalité
Pourquoi Justifit s’engage sur ce sujet
Chez Justifit, nous croyons qu’une profession plus équitable est une profession plus forte. Ce sondage sur l’égalité hommes-femmes a pour but de recueillir des données concrètes sur la réalité du terrain : rémunération, accès aux postes à responsabilité, impact de la parentalité.
En tant qu’acteur engagé auprès des avocat(e)s, notre objectif est de :
- Donner la parole à la profession
- Éclairer les freins réels à la parité
- Encourager des actions concrètes
Nous remercions chaleureusement tous les participant(e)s. Vos réponses — anonymes sauf mention contraire — permettent de nourrir un dialogue constructif, et de faire de Justifit un relais des voix du terrain.
Rémunération : une injustice perçue, parfois vécue
Dans l’enquête Justifit, à la question de l’écart salarial :
- 65 % répondent qu’il y a un écart (dont 38 % le jugent important)
- Seuls 21 % estiment qu’il n’y a aucune différence
- 43 % des répondant(e)s ont tenté de négocier leur rémunération ; 17 % disent ne jamais avoir osé
Témoignages anonymes :
« Quand un homme parle augmentation, on l’écoute. Quand une femme ose, on lui propose… du télétravail. »
« Les dossiers intéressants, bien facturés, sont confiés aux hommes. Les collaboratrices, elles, reçoivent les urgences ou les cas sensibles, mais peu valorisés. »
Maître Lionel Lefebvre, associé : « Les écarts de rétrocession se creusent. Les femmes en retour de congé maternité sont souvent mises de côté. »
Données nationales :
- Selon l’Insee, l’écart de salaire femmes-hommes à temps plein est de 14,2 % (2023)
- Dans les professions juridiques, l’écart atteint 42,4 % selon le Village de la Justice
- Une étude (2017) indique que les avocates gagnent 52 % du revenu moyen masculin
Le plafond de verre : encore bien en place
Malgré la progression du nombre de femmes dans la profession, leur accès aux postes à responsabilité reste limité. Et la perception de cette inégalité varie fortement selon le genre.
- 73 % estiment que les hommes ont plus d’opportunités – Mais ce chiffre varie fortement selon le genre : 88 % des femmes interrogées partagent ce constat, contre 45 % des hommes seulement
- Seuls 18 % pensent que les chances d’évolution sont équitables
Les freins les plus cités :
- Charge mentale / équilibre vie pro-perso : 81 %
- Manque de modèles féminins en leadership : 47 %
- Discrimination / sexisme : 40 %
Témoignage anonyme de Morgane, avocate : « Les règles électives de notre profession sont une honte. Il faut désormais, quand on est femme, pour être éligible, s’acoquiner avec un homme. »
Parentalité : un impact massif sur les carrières féminines
La parentalité ressort comme un frein majeur pour les femmes. Les hommes sont très peu nombreux à prendre un congé parental : dans notre enquête, un seul homme sur 23 l’a fait, et aucun n’a mentionné de conséquences professionnelles.
- 82 % pensent que la parentalité est un frein surtout pour les femmes
- Dans 89 % des cas, ce sont les femmes qui prennent les congés parentaux
- 26 % ont observé ou subi une discrimination liée à la parentalité
- 42 % des cabinets n’ont aucune mesure d’accompagnement (ni télétravail, ni horaires aménagés)
Témoignages anonymes :
« Ce sont toujours les femmes qui gèrent les enfants malades. »
« Une collègue de retour de congé maternité a été mise sur la touche. Trois mois plus tard, elle était remerciée. »
« Les femmes prennent les congés, gèrent les absences d’enfants, les cabinets en tiennent compte dans les dossiers et les promotions. »
« La parentalité pèse lourd dans les arbitrages professionnels.»
Mesures d’égalité : un engagement encore timide dans les cabinets
Si la parité est souvent évoquée dans les discours, peu de cabinets semblent traduire ces intentions en actions concrètes.
- 42 % des répondant(e)s disent que leur cabinet n’est pas engagé sur ces sujets
- 24 % observent des actions concrètes (télétravail, horaires flexibles, comités RH)
- Les autres estiment qu’un discours existe, mais sans réel changement
Témoignage anonyme : « On parle beaucoup d’égalité, mais on agit peu. La communication n’est pas une politique RH. »
Les rares dispositifs évoqués :
- Télétravail
- Horaires flexibles
- Temps partiel facilité
Mais ces mesures restent isolées, non systématisées et rarement encadrées par une politique RH formalisée.
Témoignages : Maître Lionel Lefebvre, associé, milite pour une transparence accrue : « Les écarts de rétrocession sont visibles. Les femmes, après un congé, peinent à retrouver leur place. »
« Les cabinets communiquent volontiers sur la parité, mais sans volonté réelle de changer les choses. », témoignage anonyme.
Des solutions portées par le terrain
Les avocat(e)s interrogé(e)s proposent des solutions concrètes et applicables :
- Des grilles de rémunération transparentes (souhaitées par 64 %)
- Des critères clairs pour devenir associé(e)
- Des comités internes pour les rétrocessions d’honoraires
- Une communication interne plus équitable
- Culture managériale inclusive
- Une reconnaissance explicite de la parentalité dans les carrières
Témoignage anonyme: Carla, avocate, appelle à « changer l’image du métier, accepter que le travail ne soit pas toute la vie. »
Ce que dit la loi
Depuis la loi de 1972, le principe « à travail égal, salaire égal » est inscrit dans le Code du travail.
En 2018, la loi « Avenir professionnel » a introduit l’Index de l’égalité professionnelle (obligatoire pour les structures de +50 salarié·e·s), avec sanctions à la clé.
Mais pour les cabinets d’avocats — souvent en-dessous de ce seuil — aucune obligation concrète n’est imposée, laissant place à des pratiques très hétérogènes.
Paroles libres : quand les avocates témoignent
Ces témoignages, recueillis dans le cadre de l’enquête Justifit, ont été partagés anonymement. Ils illustrent avec force ce que les chiffres seuls ne suffisent pas à dire :
« Enceinte, j’ai demandé à passer prioritairement après 4h d’attente au tribunal. Une consœur plus âgée m’a envoyée paître : ‘nous aussi on a attendu’. »
— Maître M., avocate à Ajaccio
« J’ai ouvert mon cabinet pour créer la culture que je ne trouvais nulle part ailleurs. »
— Maître P., avocate à Besançon
« J’ai le sentiment que les femmes doivent toujours prouver qu’elles sont légitimes. Les hommes, eux, sont supposés l’être. »
— Maître V., avocate à Paris
Conclusion
Ce sondage révèle une réalité bien connue, mais encore trop peu documentée : les inégalités femmes-hommes dans la profession d’avocat sont structurelles et perdurent dans les pratiques internes. Pourtant, des solutions existent, et la parole se libère.
En relayant ces données et ces témoignages, Justifit souhaite favoriser une prise de conscience collective, valoriser les bonnes pratiques, soutenir les cabinets exemplaires, et outiller ceux qui veulent évoluer.
Points à retenir
- Les avocates perçoivent encore en moyenne 52 % du revenu masculin
- 73 % des sondé(e)s dénoncent un déséquilibre d’évolution
- La parentalité est un frein massif et genré
- Les postes à responsabilité restent inégalement répartis
- Peu de cabinets ont mis en place des actions concrètes pour l’égalité
- Des voix se lèvent, avec des propositions fortes et structurées
- Justifit agit comme relais, pour faire entendre ces réalités et encourager le changement
À lire :Attirer et fidéliser les jeunes avocats (Gen Z) : 5 stratégies clés pour votre cabinet en 2025
Articles Sources
- insee.fr - https://www.insee.fr/fr/statistiques/8381248?
- insee.fr - https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5369554/salaires-moyens-dans-le-prive?
- insee.fr - https://www.insee.fr/fr/statistiques/7766515?
- insee.fr - https://www.insee.fr/fr/statistiques/8379218?
- village-justice.com - https://www.village-justice.com/articles/egalite-salariale-femmes-hommes-est-2023%2C47064.html?
- village-justice.com - https://www.village-justice.com/articles/index-juridique/-discrimination-salariale-251?