Interview réalisé le 27/06/2019.
Créateur de l’Observatoire International des Prisons (OIP) et de Prison Insider, Bernard Bolze mène une vie à cent à l’heure. Militant engagé, ce Lyonnais passé par la case prison a créé deux organisations dédiées aux prisons dans le monde.
Né en 1951, Bernard Bolze a passé deux mois en prison pour insoumission, le refus de faire son service militaire. Il a été journaliste, puis a participé à plusieurs campagnes, notamment pour la Cimade. Il a également animé une campagne (« Trop c’est trop ») contre la surpopulation carcérale.
Bernard Bolze a travaillé pour le CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté) pendant six ans. C’était une activité “passionnante” selon lui, mais difficile. Auteur à ses heures perdues, il a conçu un “beau livre” sur les prisons de Lyon sous le titre : Prisons de Lyon, une histoire manifeste.
Après avoir créé l’OIP au début des années 1990, il s’est attaqué à un autre chantier, Prison Insider, le site pour lequel il travaille actuellement. Prison Insider a pour ambition de devenir la plateforme de référence sur les prisons dans le monde.
Comment vous est venue l’idée de créer l’OIP ?
« Je me suis inspiré d’Amnesty International pour créer l’Observatoire international des prisons. Cependant, au lieu de parrainer un prisonnier d’opinion à l’autre bout du monde, les groupes locaux ont été invités à parrainer la prison de leur ville. Là était selon moi l’idée fondatrice de l’OIP.
Je ne voulais pas trop en parler au début par crainte de me faire voler l’idée (!). Puis j’ai commencé progressivement à la mentionner autour de moi, à y associer des gens, à trouver un local. L’OIP a rapidement bénéficié du statut consultatif auprès des Nations unies et a produit annuellement, pendant six ans, un rapport sur l’état des prisons. Il a fait mention de plus de 50 pays. Le premier rapport, en 1993, a donné lieu à une conférence de presse au Palais des Nations, à Genève.
Tout a commencé par la conception d’un questionnaire dont s’emparait les groupes locaux de l’OIP, portant sur les droits fondamentaux (l’accès aux soins, le maintien des liens familiaux, l’exercice du culte… etc.)
Je suis restée une petite dizaine d’années à l’OIP. »
Et qu’avez-vous voulu faire avec Prison Insider ?
« Prison Insider a été conçu en 2015, quelques 25 années après l’OIP. Il a débuté de la même façon : la rédaction d’une grille de questions prenant pour appui les Règles de Mandela, ces règles des Nations-unies qui doivent prévaloir dans les prisons à l’échelle du monde. Cela fait près de cinq ans maintenant que l’on travaille à ce projet, accessible gratuitement au public depuis janvier 2017.
Nos travaux consistent et consisteront à publier des rapports annuels : des informations sur la façon dont est pensé et organisé par les pouvoirs publics le système pénitentiaire d’un pays donné. Nous rapportons ensuite les informations factuelles survenues au cours de l’année. Elles contredisent souvent l’intention affichée.
Nous mettons ces informations à disposition des organisations de la société civile et de quiconque veut en faire usage (journalistes, parents de détenus, avocats, chercheurs, parlementaires, enseignants, militants associatifs). C’est à chacun de concevoir le plaidoyer qui peut en résulter. Prison Insider a fait le choix de ne pas être l’avocat des informations qu’il produit. Tenons-en nous là.
Nous avons amorcé également la publication d’études comparées : l’exploration d’un champ particulier de notre questionnaire : traitement des personnes détenues en souffrance psychique dans huit pays européens avec l’UNAFAM, droit de vote des détenus, conditions de détention dans les couloirs de la mort avec la Coalition mondiale contre la peine de mort….
Actuellement, nous réfléchissons à la création d’un indice : brasser une série de données devant permettre de classer les pays en fonction de l’état de leurs prisons. Une quinzaine de personnes ont accepté le défi, juristes, professeur de droit, ingénieurs en mathématiques, consultants spécialisés…). Une entreprise de longue haleine.
En quoi consiste cet indice ?
« Les administrations pénitentiaires publient des chiffres, de façon plus ou moins régulière et partielle. La non publication de données constitue aussi un indicateur. Nous verrons comment attribuer une valeur à ce qui est volontairement dissimulé. D’autres données sont qualitatives et nous devons imaginer comment les prendre en compte.
Je vous donne un exemple : la France est plutôt bien placée pour l’accès aux soins, ce qui n’exclut pas de graves manquements, mais ne publie plus le chiffres des décès survenus en détention depuis… 2013. »
Quelle conclusion pouvez-vous en tirer ?
Il est prématuré pour tirer une quelconque conclusion de notre entreprise. Ce que nous savons, c’est que les enseignements iront à l’encontre des idées reçues, que les « meilleurs » ne le sont pas partout et que globalement, les prisons sont vraiment celles de la misère.
Pourquoi la prison, et comment mobiliser autour de ce sujet ?
« Je me suis intéressé à la prison avant de m’y retrouver moi même. Elle est l’un des fléaux, parmi tant d’autres, qui m’affecte le plus. Nous avons été nombreux à faire l’expérience de la prison, dans différentes formes de résistance à la militarisation. Quand cela a été mon tour, à la prison Saint Paul à Lyon, les conditions étaient classiques : trois personnes dans une cellule, petite et spartiate. Expérience cruelle de l’absence des siens, de ses enfants, de la solitude, du désarroi et du profond sentiment d’injustice qui en résulte.
Pour tenter de mobiliser autour d’un sujet aussi difficile, il faut créer des liens. C’est une façon d’être. La seule radicalité qui vaille est celle qu’on s’applique à soi même. Faire des choix qui ne sont pas confortables. Et ce sont ces choix qui attirent l’attention, la sympathie et les encouragements : si le projet est ambitieux, beaucoup y sont sensibles et viennent accompagner le mouvement.
C’est ce qu’on a fait, pendant un mois en 2007, sur la place de l’Hôtel de ville à Paris, avec la campagne Trop c’est trop. Un rectangle de 9m2, tracé au sol, représentait une cellule dans laquelle nous avons disposé trois lits en fer superposés, un lavabo et une toilette. Énormément de gens sont passés, fortuitement ou non, ont constaté, ont parlé, débattu. »
Nous devons formuler ce que nous voulons de manière raisonnable afin que ça soit partageable.
Avez vous constaté une évolution du milieu carcéral ?
« L’évolution est certaine, pas toujours lisible en France. L’institution est assez imperméable au progrès. Peu importe qui est au pouvoir, la population carcérale continue d’augmenter. On a taxé la gauche de laxiste. Elle n’a pas freiné la montée sans fin du nombre des détenus depuis le début des années 2000.
Certains abus d’autrefois n’ont plus lieu : à la fin des années 1970, la tenue pénale était obligatoire, pantalon et veste de laine grise, mal ajustés. Il n’y avait ni télévision, ni activité, ni exercice physique ; ni véritable médecine ; la tonte des cheveux étaient un passage obligé (alors qu’elle n’était plus obligatoire). L’envoi au mitard incluait une volée de coups.
Cela n’est plus le cas aujourd’hui même si certaines violences commencent à revenir. C’est un phénomène qui se développe, certains surveillants s’autorisent à frapper, assuré d’une vraie forme d’impunité. »
Que pensent les avocats et magistrats de la prison ?
« La plupart des avocats n’a pas affaire à la prison : les avocats pénalistes ne sont pas si nombreux. Avocats et magistrats connaissent mal la prison alors qu’il est impossible de la méconnaître. L’information est là, partout. C’est plutôt l’indifférence qui règne.
La prison est un monde très éloigné de la vie de tous les jours. L’enjeu démocratique est pourtant majeur à l’endroit de la prison. Nier la personne détenue, la maltraiter, génère un coût très élevé pour la collectivité.
Je disais tout à l’heure que l’on pouvait constater des abus de la part des surveillants. L’institution porte l’entière responsabilité de ces abus. Les surveillants sont maltraités par les politiques, les magistrats : quand on enferme trois personnes dans une seule place, on abîme non seulement ces détenus mais on disqualifie aussi le travail du personnel. »
Un surveillant n’appréhende pas de la même façon le fait d’entrer dans une cellule occupée par une ou alors par trois personnes. Parlementaires et magistrats se moquent du travail du personnel. Et ça, peu de gens l’imaginent.
Comment fait-on la part des choses entre réalité de la prison et imaginaire collectif ?
« C’est là tout notre travail. J’ai invité Didier Ruiz, metteur en scène, après avoir découvert l’originalité de son travail, à créer un spectacle sur les longues peines. Il en a résulté un spectacle magnifique et touchant, vu dans des dizaines de villes. Ont également vu le jour un film de Stéphane Mercurio et un ouvrage aux éditions de La Passe du vent.
Il faut aller vers l’opinion publique. Mais on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ! Il est peu probable que les personnes non concernées par une question, si majeure soit-elle, s’y intéressent. Mais ça arrive !
Il y a en France un détenu pour 1000 habitants. Cela veut dire que près de 990 personnes (si on compte les proches du détenu) ne se sentent pas réellement concernées par la prison, un problème de société marginal pourtant si révélateur de son fonctionnement. »
L’opinion publique, si elle existe, n’exprime aucune empathie pour les prisonniers. Sa partie la plus extrême, la plus anonyme, se répand sur les réseaux sociaux. Individuellement, les gens sont plus ouverts et généreux qu’on ne le croit.
Quels sont les principaux obstacles que vous avez rencontrés ?
« L’obstacle majeur est le manque d’argent. Prison Insider vit d’expédients. Fort heureusement, quelques fondations, des individus, partagent notre analyse. Les fonds de dotation des Barreaux de Paris ou de Lyon aussi. Nous leur devons d’être là. Comment passer à la vitesse supérieure ?
L’argent est mobilisable pour aider à la réinsertion des détenus. Le soutien individuel à la personne est concret et valorisé, certes, mais ne vient pas questionner la mauvaise répartition des richesses. C’est justement ce que vient interroger notre exigence du respect des droits fondamentaux des personnes. »
Prison Insider ne récolte que des miettes, mais c’est parce qu’il gratte là où ça fait mal. Ceux qui détiennent l’argent le savent très bien. L’Etat perçoit moins d’impôts, gagne en libéralisme et renvoie aux entreprises privées le soin de faire du mécénat. L’entreprise ne valorise pas sa marque en affichant un soutien au sort des prisonniers ordinaires. C’est une grave erreur d’évaluation. Pour celles qui l’ont tenté, la plus-value est réelle. C’est le courage qui fait l’adhésion, pas le robinet d’eau tiède.
Le mot de la fin ?
Bernard Bolze nous décrit un univers carcéral qu’il a côtoyé tout au long de sa vie et partage un avis construit au fil des rencontres à tous les niveaux des prisons en France (direction, surveillance…). Il a constaté une évolution du monde de la prison, mais il reste encore beaucoup à faire d’après lui.
Assez frustré sur la difficulté de trouver des financements, il reconnaît toutefois la participation de la Fondation de France, qui l’a aidé “à plusieurs reprises, de manière significative”.
Le travail effectué par l’équipe de Prison Insider ne consiste pas seulement à produire des chiffres mais aussi à faire prendre conscience de la réalité encore trop méconnue des prisons, en France, comme dans le reste du monde.
Aujourd’hui, il veut se retirer progressivement du site, passer la main, pour se lancer dans quelque chose d’autre. Pourquoi pas écrire un autre livre ?
LE LIVRE BLANC :
« Le Guide de la fidélisation client pour les avocats »
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