En 2019, le gouvernement d’Edouard Philippe a amorcé son travail sur la réforme du régime des retraites, avec des conséquences significatives pour les professions indépendantes comme les avocats. Un mouvement qui a pris de l’ampleur au fil des semaines, notamment avec la succession d’actions “choc” début 2020. Pourquoi la profession d’avocat se mobilise-t-elle ? Quelles sont les conséquences de la grève des avocats pour le justiciable ?
Comment fonctionne le régime de retraite chez les avocats ?
Avant de s’intéresser à la mobilisation des avocats contre la réforme des retraites, il est utile de revenir sur le fonctionnement actuel du régime de retraite de la progression.
Très concrètement, tout au long de leur carrière, les avocats cotisent auprès de la Caisse Nationale des Barreaux Français (CNBF). En 2017, 16 100 avocats retraités bénéficiaient de ce régime.
Au moment de la retraite, l’avocat bénéficie d’une pension de retraite dont le montant forfaitaire va augmenter ou diminuer en fonction du nombre d’années de cotisation.
La pension de retraite de base est un montant forfaitaire augmenté ou diminué suivant votre nombre d’années de cotisations. En 2018, ce montant était de 16 831 € pour l’année, pour une carrière complète d’avocat. Les conditions pour prétendre à la requête de base sont les suivantes :
- Atteindre l’âge légal de départ à la retraite compris entre 60 et 62 ans selon l’année de naissance ;
- Effectuer un nombre de trimestres requis compris entre 160 et 172.
Les avocats cotisent également à un régime complémentaire par points.
3 formes de cotisation au régime
Les avocats cotisent à la CNBF sous 3 formes :
Les droits de plaidoirie, une pratique qui remonte au XVIIe siècle qui prend la forme d’une taxe de 13 euros sur chaque affaire plaidée par l’avocat. Cette cotisation s’apparente à un prélèvement sur le client.
Une cotisation forfaitaire, dont le montant est lié à l’ancienneté dans le métier d’avocat, commençant à 284 euros la première année pour grimper jusqu’à 1 555 euros à partir de la sixième année.
Une cotisation sur le revenu professionnel, qui correspond à de 3,1 % du revenu de l’avocat.
Grève 2019-2020 : pourquoi les avocats se mobilisent ?
Bien qu’ils aient lieu en même temps, la mobilisation des avocats est sensiblement différente de celle des cheminots – qui occupent la part belle du mouvement de grève contre la réforme des retraites. En effet, la situation des avocats n’est pas comparable. Il s’agit en effet d’une des rares professions qui bénéficie d’un régime de retraites autonome, qui n’est pas un régime spécial. Comme le souligne le Conseil National des Barreaux (CNB), cela signifie que le régime des avocats est :
- équilibré, car il ne coûte pas 1 euro au contribuable ;
- solidaire, car il reverse chaque année 100 millions au régime général ;
- pérenne, car il garantit l’équilibre des régimes de base et complémentaire jusqu’en 2079.
La réforme des retraites prévue pour 2025 par le gouvernement promet la disparition des régimes autonomes, ce qui ferait basculer les avocats dans le régime général.
C’est le CNB qui a pris la tête du mouvement de contestation et mobilise les avocats français (près de 70 000 avocats) contre la réforme. Elle s’est notamment associée à d’autres professionnels au sein du collectif SOS Retraites (pilotes, personnels navigants, personnels de santé…).
Que va changer la réforme des retraites pour les avocats ?
La disparition du régime de retraites autonome des avocats va causer une hausse des cotisations. Leur montant va ainsi passer de 14% à 28%, dès l’entrée en vigueur de la réforme.
A savoir : une revalorisation du montant de la retraite des avocats est prévue par le gouvernement en prévision d’une augmentation des cotisations.
La réforme devrait également faire perdre aux avocats leurs réserves et le mécanisme de solidarité (congés maternité, périodes de chômage, etc.), ainsi que leurs avantages sur la pension de réversion.
“Plus de cotisations pour moins de pensions”, c’est le principal reproche du CNB et plus largement des avocats qui se mobilisent, contre la réforme. Ils anticipent ainsi “une indépendance menacée” et “la mort […] de milliers de cabinets”.
Tous les avocats sont-ils affectés de la même façon par la réforme ?
Une chose est certaine, la disparition du régime autonome des avocats et la hausse des cotisations n’aura pas le même impact sur tous les avocats. Pourquoi ? Car comme dans beaucoup de professions, tous les avocats ne se trouvent pas sur un pied d’égalité.
Loin de l’image de nantis véhiculée par la conscience collective, de nombreux avocats rencontrent des difficultés financières réelles, tout au long de leur carrière.
Pour de nombreux jeunes avocats ayant du mal à lancer leur activité, ces cotisations supplémentaires auront des conséquences plus graves. C’est également le cas pour les avocats qui vivent de l’aide juridictionnelle et des dossiers commis d’office, pour qui cette hausse sera significative.
Quelles sont les revendications de la profession ?
La communication du Conseil National des Barreaux, via la présence médiatique de sa présidente Christiane Féral-Schuhl, et des Barreaux locaux a pris de l’ampleur au fil des semaines de mobilisation.
Malgré des rencontre avec la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, et le secrétaire d’État en charge des retraites (Jean-Paul Delevoye puis Laurent Pietraszewski), les lignes ne semblent pas bouger.
Dans un communiqué publié le 13 janvier, le CNB a ainsi déclaré : “Au cours de cet entretien, le gouvernement n’a présenté aucune nouvelle proposition pour la profession d’avocat. Les projets de loi [pour la réforme des retraites] restent donc inacceptables pour la profession d’avocat.”
Les revendications des représentants de la profession d’avocat sont cumulativement :
- des garanties pour le maintien de l’autonomie de leur régime ;
- des mesures permettant d’obtenir que pas un avocat ne perde un seul euro du fait de la réforme imposée par le gouvernement ;
- des compensations pour indemniser les avocats de la confiscation de leur régime de retraite prévu dans le projet de loi.
Comment prend forme la grève des avocats ?
La mobilisation des avocats commence le 16 septembre 2019, avec de premières manifestations contre la réforme des retraites. C’est à cette occasion que le Conseil National des Barreaux participent ont créé le Collectif SOS Retraites, rassemblant les professions libérales.
L’assemblée générale du CNB vote en novembre une journée Justice morte, le 5 décembre, comme moyen de poursuivre leur engagement contre le projet de réforme.
Les manifestations d’avocats continuent jusqu’en janvier. A l’occasion d’un discours de la garde des Sceaux Nicole Belloubet à Caen le, mercredi 8 janvier, devant environ 70 avocats, les professionnels du droit ont déposé symboliquement leurs robes noires au sol en guise de protestation.
Les avocats du palais de justice de #Caen jettent la robe avant le discours de la ministre de la Justice #NicoleBelloubet #greve8janvier pic.twitter.com/3QEQ3SoqgL
— Ouest-France 14 (@OuestFrance14) January 8, 2020
Plus largement, la robe de l’avocat est utilisée au cours de la mobilisation de plusieurs manières comme symbole de contestation, parfois jetée au sol, son épitoge teinte en rouge ou suspendue à des barrières devant les Palais de Justice.
Des opérations “choc” organisées dans les Palais de Justice
En plus des défilés, manifestations et jetés de robes, les avocats organisent des opérations plus ciblées, comme par exemple à Lyon, où devait s’ouvrir le 13 janvier 2020 le procès pour agressions sexuelles de l’ancien prêtre Bernard Preynat.
La mobilisation des avocats, avec des robes noires pendues aux rambardes et des Codes Pénal arrangés en SOS au sol, a causé le report de l’ouverture du procès au lendemain.
#Preynat A l’extérieur de la salle, les avocats ont suspendu leurs robes et inscrit SOS au sol avec des Code Penal pic.twitter.com/iG1ISsJeCa
— Catherine Fournier (@cathfournier) January 13, 2020
Manière inédite de manifester contre le projet de réforme : le 14 janvier 2020, d’après le journal l’Express, des avocats parisiens ont obtenu la libération sans procès de plusieurs prévenus en pratiquant une « défense massive » lors d’une audience houleuse de comparutions immédiates. Les avocats se sont, en effet, rendus en nombre aux comparutions immédiates pour y plaider longuement chaque point de nullité de procédure.
Quel impact de la grève des avocats sur le suivi de votre dossier ?
Malgré les nombreuses manifestations d’avocats en France depuis le mois de décembre, les justiciables ne devraient ressentir que peu d’impact sur le traitement de leurs dossiers par leur avocat.
En effet, même si votre avocat est solidaire avec le reste de la profession contre la réforme des retraites, il est peu probable qu’il vous en parle directement. En effet, qu’il manifeste ou non, il va continuer de s’occuper de votre affaire, quitte à le faire sur son temps-libre. Il reste donc disponible pour répondre à vos demandes, même s’il pourrait être parfois plus difficile de le joindre.
Si la mobilisation de votre avocat cause une réduction de son activité, il ne manquera pas de vous avertir, par exemple par email, de son indisponibilité.
A l’inverse de la grève des cheminots où le blocage des transports est une action indispensable pour protester face à la réforme, il n’est ni dans l’intérêt des justiciables, ni celui des avocats de mettre au point mort un dossier. Les enjeux des clients vont toujours dépasser les préoccupations des avocats.
Il n’est pas exclu qu’une manifestation vienne perturber les audiences dans un Palais de Justice. Si vous êtes concerné, votre avocat vous préviendra directement en vous informant sur la nouvelle date d’audience.