L’indemnisation d’un préjudice corporel via une perte de chance ou la nécessité d’une éventualité

Justifit

 

Article de Maître Thibault Lorin, avocat associé chez MBPTD Avocats intervenant en droit du dommage corporel notamment.

La Cour de cassation vient, une nouvelle fois, (arrêt du 18 janvier 2018 n°17-10381) de rappeler que l’indemnisation d’un préjudice corporel ne peut être pondéré d’une perte de chance qu’en présence d’une dose indispensable d’incertitude.

Il s’agissait d’un grave accident de la circulation survenu en 1995 à une contrôleuse fiscale occasionnant un préjudice corporel tel qu’elle n’avait jamais pu reprendre son travail.

La date de la consolidation, soit de l’arrêt des soins actifs, de ses blessures étant survenue en 1998, cette dernière fut placée à la retraite d’office et perçu une pension anticipée jusqu’en 2006 date de ses 60 ans et son accession normale à la retraite. A compter de cette date, elle perçu une pension de retraite classique.

La difficulté était que l’âge de 60 ans n’était que celui de l’ouverture de ses droits à la retraite et non l’âge limite, lequel était fixé à 65 ans.

La victime sollicita donc une perte de gains professionnels futurs pour la période couvrant ses 60 à ses 65 ans.

La Cour d’appel d’Aix en Provence valida le calcul des sommes qu’aurait perçues la victime sur cette période en s’appuyant sur un déroulement de carrière fictif.

Cependant, estimant qu’il était probable que, même en l’absence de l’accident, la victime aurait pris sa retraite à 60 ans et non à 65, elle appliqua à ce poste de préjudice un taux de perte de chance de 85 %.

Pour rappel, la perte de chance constitue la disparition d’une éventualité favorable pour une victime.

Elle implique d’une part que celle-ci a été assurément privée d’une possibilité de revenus et d’autre part que l’évaluation financière de cette perte soit pour partie conjecturée.

Le raisonnement de la Cour d’appel était cependant entaché d’une évidente faille. En effet, la victime ayant un droit acquis à un départ à la retraite à 65 ans, l’évaluation financière des sommes perdues au titre de sa perte de gains professionnels futurs était parfaitement certaine.

C’est donc sans surprise que l’arrêt est cassé par la Cour de cassation pour violation du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

« Qu’en statuant ainsi, en appliquant le taux de 85 % représentant la probabilité que Mme Y… poursuive son activité professionnelle jusqu’à 65 ans à la perte de gains qu’elle avait subie avant l’âge de 60 ans, alors qu’elle avait constaté qu’elle aurait de façon certaine travaillé jusqu’à cet âge, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le principe susvisé ; ».

En effet, la Cour régulatrice explique que l’indemnisation d’un préjudice au titre d’une perte de chance se fait en deux étapes.

Tout d’abord il appartient d’évaluer financièrement la perspective perdue, ce qui implique au préalable de s’assurer qu’il s’agit au moins pour partie d’une éventualité.

Ensuite il convient d’affecter à cette évaluation un pourcentage de perte de chance, déterminé par le juge ou par les parties dans une démarche amiable, en fonction de l’intensité de cette probabilité.

Or, au cas d’espèce, l’évaluation financière était certaine et non éventuelle puisque la victime disposait du droit de travailler jusqu’à 65 ans.

La Cour d’appel ne pouvait donc pas tenir pour acquis qu’il était certain que la victime pouvait travailler jusqu’à cet âge pour ensuite ne l’indemniser qu’en partie motif pris qu’il était probable qu’elle aurait pris sa retraite à 60 ans.

En effet, s’il n’est pas possible pour une victime d’un dommage corporel d’être indemnisée sur la base de projections favorables, il est tout autant proscrit de limiter son indemnisation sur la base d’extrapolations désavantageuse.

L’unique possibilité pour la Cour d’appel aurait été de démontrer via des témoignages ou démarches administratives, que la victime avait décidé, avant son accident, de partir à la retraite à 60 ans.

Cette démonstration était impossible, il était exclu de tenir pour incertain qu’elle ne voulait pas travailler jusqu’à la limite d’âge légal.

Les victimes de dommages corporels doivent dés lors s’avoir s’entourer de professionnels pour les évaluations de leurs préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux, lesquels obéissent à une technicité que le cabinet MBPTD met à votre disposition.