Qu’est-ce que le droit de suite de l’artiste auteur d’une œuvre ?

Marine Saudreau - Rédactrice juridique

Le droit de suite a été créé dans un but social. Il permet aux artistes et à leurs ayants-droits de partager avec les vendeurs le profit économique que ceux-ci tirent de l’augmentation en valeur de leurs œuvres visuelles. Son importance tend aujourd’hui à croître pourtant son application ne reste-t-elle pas limitée ?
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Le droit de suite est donc un droit patrimonial inaliénable. L’auteur d’une œuvre visuelle – ou ses héritiers – peuvent percevoir un pourcentage du prix de l’œuvre originale lors de la revente de celle-ci par un professionnel du marché de l’art. L’environnement numérique et la mondialisation des marchés ne font qu’accroître son intérêt pourtant c’est un droit qui connaît quelques lacunes. Son application à l’échelle internationale est fractionnée. Pas moins de 80 pays reconnaissent ce droit mais certains manquent encore à l’appel tels que les Etats-Unis et la Chine. Les artistes n’en bénéficient donc que lorsque leurs œuvres sont vendues dans des pays où ce droit est reconnu ou dans lesquels des dispositions réciproques liées au droit de suite ont été mises en place. Quelles sont donc les conditions pour qu’une vente d’œuvres donne lieu au droit de suite ? Quelles sont les obligations des marchands et les droits des bénéficiaires en pareille situation de propriété intellectuelle ?

Tenants et aboutissants autour du droit de suite

Ce droit est né d’un constat simple : les artistes des arts visuels ne perçoivent pas de rémunération en aval lorsque leurs œuvres changent de main. De même, ils ne tirent pas de revenu lié aux droits de reproduction et de communication. Les musiciens et les écrivains en jouissent, eux, en vertu de la législation sur le droit d’auteur.
Les artistes revendiquent le droit de suite pour plusieurs raisons notamment économiques. Le revenu des artistes des arts visuels étant inférieur à celui d’autres créateurs, ils sont donc nettement désavantagés par rapport à leurs pairs et ne prennent de fait pas part au succès économique à long terme de leurs œuvres.

Ventes conditionnées

Une telle vente doit réunir 7 conditions cumulatives :

Deux conditions sont relatives à l’auteur

1. L’auteur est nécessairement ressortissant d’un Etat-membre de l’Union européenne ou d’un Etat faisant partie de l’espace économique européen. Les autres auteurs ou leurs ayants droit peuvent néanmoins bénéficier du droit de suite si la législation de leur Etat reconnaît le droit de suite aux auteurs de l’Union européenne (principe de réciprocité) ou si l’auteur a participé à la vie artistique française et a résidé pendant 5 ans en France, sur accord du ministre en charge de la Culture et après avis d’une commission.
2. L’auteur doit être vivant ou décédé depuis moins de 70 ans (à compter de la fin de l’année civile du décès).

Deux conditions sont relatives à l’œuvre

3. Sont concernées les œuvres graphiques et plastiques telles que :

  • les tableaux ;
  • les collages ;
  • les peintures ;
  • les dessins ;
  • les estampes (lithographies, gravures, etc.) y compris celles insérées dans les livres illustrés ;
  • les reliures ;
  • les sculptures ;
  • les tapisseries ;
  • le mobilier et les objets mobiliers ;
  • les céramiques ;
  • les verreries ;
  • les bijoux d’artiste ;
  • les photographies et les créations plastiques sur support audiovisuel et numérique.

4. Ces œuvres doivent être originales au sens du droit de suite :

  • Les œuvres sont créées par l’artiste lui-même ;
  • Les exemplaires sont exécutés en quantité limitée (numérotés ou dûment autorisés d’une autre manière par l’auteur dans des cas très précis).

Trois conditions sont relatives à la vente

5. Est assujettie toute vente supérieure ou égale à 750€, autre que la première vente de l’œuvre, au cours de laquelle intervient, en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire, un professionnel du marché de l’art (tel qu’une maison de ventes, un commissaire-priseur, une galerie, un antiquaire, un encadreur ou des marchands en ligne, etc.).
6. Cependant, par dérogation, ne sont pas assujetties, les ventes pour un prix inférieur à 10 000€ opérées par un vendeur ayant acquis l’œuvre directement de l’auteur moins de trois ans avant cette vente.
7. La vente doit avoir lieu en France ou y être assujettie à la TVA.

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Obligations des marchands d’art et droits des bénéficiaires

Lorsque la vente est soumise au droit de suite, le professionnel impliqué doit faire une déclaration de vente auprès de l’une des deux sociétés de perception qui sont l’Adagp ou la SAIF.
En cas d’omission et à la demande du bénéficiaire de droit de suite, le professionnel responsable du paiement qui ne verse pas la somme due à celui-ci encourt une amende de 450€ (ou 2 250€ s’il s’agit d’une personne morale),

Panorama juridique international

La France a été en 1920 le premier pays à adopter une loi prévoyant un droit de suite pour les artistes. Soucieux du bien-être des artistes et de leurs familles, les législateurs ont introduit ce droit pour garantir que les artistes et leurs héritiers reçoivent une part de la valeur commerciale croissante de leurs œuvres d’art.
Introduit ensuite dans la Convention de Berne en 1948 à titre facultatif, il a ensuite été inscrit en 2001 dans la législation de l’Union européenne (UE) avec la Directive 2001/84/CE relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale. Les législations de tous les pays membres de l’UE ont été harmonisées en janvier 2006.

Quid de son applicabilité au niveau communautaire

Les redevances au titre de la revente représentent une fraction du prix de vente d’une œuvre mais elles ne sont dues que dans certaines conditions plus strictes qu’au niveau national précédemment étudié.
Conformément à la directive 2001/84/CE, le paiement s’applique uniquement aux œuvres vendues par un professionnel du marché de l’art pour un prix supérieur à 3 000€. Enfin, les États membres sont libres d’appliquer un droit de suite lorsque le prix de vente est inférieur à 3 000€, sous réserve que la redevance au titre de la revente ne soit pas inférieure à 4% du prix de vente.
Cette directive prévoit également un système de taux dégressifs divisé en cinq tranches de prix de vente. Chaque tranche fixe le pourcentage du prix de vente qu’un artiste percevra pour la vente de son œuvre, de 4% pour la première tranche de 50 000€ du prix de cession à 0,25% pour la tranche du prix de vente dépassant 500 000€. Enfin, le montant total du droit de suite ne peut dépasser 12 500€.

Pour conclure, le droit de suite n’est appliqué dans chaque pays de la convention de Berne que si deux conditions sont réunies : la législation nationale de l’auteur admet cette protection et la législation du pays où cette protection est réclamée le permet. Les modalités et les taux de la perception sont déterminés par chaque législation nationale. A l’heure de la globalisation, il est probable que ce droit se généralise à l’ensemble des pays membre de la communauté européenne. L’élargissement de l’assiette de ce droit passera notamment par l’inclusion des ventes faites par les marchands et les galeries d’art, ce qui améliorerait la traçabilité des œuvres d’art et la transparence du marché mondial.