La jurisprudence concernant le harcèlement moral au travail
Le harcèlement moral fait l’objet de très nombreuses jurisprudences en matière pénale et civile mais également en droit du travail. Ces dernières apportent des éléments concrets face aux conditions de travail pouvant être assimilées à du harcèlement moral. Vous êtes victime de harcèlement moral sur votre lieu de travail ? Cette situation détériore votre santé mentale ? Faites valoir vos droits et contactez un avocat expérimenté dans le domaine du harcèlement au travail pour vous aider dans vos démarches.
À RETENIR : Quels comportements sont considérés comme du harcèlement moral au travail ?
Le harcèlement moral au travail englobe les actes répétés qui altèrent les conditions de travail d’un salarié, portant atteinte à sa dignité ou à sa santé. Cela peut se traduire par des comportements hostiles, des remarques dévalorisantes ou l’isolement systématique du salarié.
Découvrez comment la jurisprudence encadre le harcèlement moral au travail et protégez-vous face à ces situations délicates.
Définition du harcèlement moral au travail
Le harcèlement moral fait l’objet de dispositions spécifiques dans le code du travail. Il n’est cependant pas défini par la loi.
Le code du travail prévoit, de façon sommaire, qu’aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Le code pénal reprend cette même interdiction et érige en infraction le fait d’y porter atteinte.
3 éléments caractérisent en réalité le harcèlement moral au travail :
1. La répétition du comportement reproché
La Cour de cassation a pu estimer qu’il n’était pas nécessaire que les comportements reprochés soient différents ; plusieurs comportements semblables peuvent constituer un fait unique, ne permettant pas de caractériser la répétition.
2. Les comportements prohibés
Il est impossible de lister tous les comportements interdits, mais il est possible de définir des comportements « types » :
- Sanctions ou menaces de sanctions injustifiées ou non suivies d’effet
Par exemple, le fait pour une assistance de direction de proférer des insultes répétées de façon quotidienne, des cris, des ordres, de faire des remarques en hurlant, de donner des ordres contradictoires, de menacer, de proférer des accusations mensongères visant à faire sanctionner des salariés pour des fautes qu’ils n’avaient pas commises, par une intrusion dans leur vie privée, par l’instauration d’un climat de tension perpétuelle et de culpabilisation, et par des manipulations visant à leur faire perdre leurs repères professionnels. - Refus d’aménager les horaires du salarié
Par exemple, le fait de fixer des objectifs disproportionnés inatteignables faute de moyens, contraignant les salariés à effectuer des heures supplémentaires non rémunérées, sous vidéo-surveillance, dans un contexte d’agressivité et d’actes vexatoires pour obtenir leur démission. - Ingérences dans la vie personnelle du salarié
Par exemple, l’imposition de conditions de travail insupportables ou l’interdiction à une salariée d’être malade, lui conseillant de ne plus faire d’enfants. - Surveillance tatillonne du salarié
Par exemple, siffler les employées pour les appeler, leur interdire de quitter leur poste pour aller aux toilettes, modifier leurs horaires de travail en plusieurs créneaux pour les contraindre à faire des navettes entre leur domicile et le lieu de travail, et interdire toute communication entre elles durant les heures de travail. - Affectation à des tâches inadaptées aux qualifications
Par exemple, ne confier à une salariée que des tâches subalternes mal définies ou, au contraire, des tâches trop difficiles ; affecter un salarié à des fonctions censées être accessoires à sa fonction principale. - Insultes, menaces ou critiques, voire brimades
Ces comportements doivent emporter une dégradation des conditions de travail.
3. La dégradation des conditions de travail
La jurisprudence considère qu’il faut démontrer un changement des conditions de travail dans le sens d’une moindre qualité.
- Atteinte aux droits et à la dignité de la victime
Par exemple, l’isolement d’un salarié, sa privation de travail et la tolérance de propos injurieux à son égard caractérisent la répétition et l’accumulation de faits visant à dégrader ses conditions de travail et à porter atteinte à ses droits et à sa dignité. - Altération de la santé physique ou mentale
Par exemple, un état dépressif médicalement constaté. La jurisprudence a également relevé des répercussions graves sur la santé d’une salariée, avec d’importantes chutes de cheveux et une dépression nerveuse liées aux violences vécues au travail.
La jurisprudence a également pu évoquer de graves répercussions sur la santé d’une salariée, attestées par d’importantes chutes de cheveux et une dépression nerveuse consécutive aux violences vécues au travail ou de compromettre son avenir professionnel.
Toute dégradation des conditions de travail de la victime compromettant nécessairement l’avenir professionnel du salarié, cette notion apparaît redondante et n’est pas utilisée par la jurisprudence.
Harcèlement moral au travail : jurisprudence prud’hommale
L’employeur peut être sanctionné au titre du harcèlement moral à deux titres :
- Lorsque des faits de harcèlement moral ont été commis par l’employeur lui-même ou un supérieur hiérarchique du salarié
Quelques exemples :
- Le salarié qui a subi une pratique de mise à l’écart à son égard caractérisée par le fait d’avoir été maintenu pendant les dernières années de sa relation de travail sans se voir confier de réelles tâches correspondant à sa qualification et à ses fonctions contractuelles et a été affecté à des travaux subalternes relevant de fonctions d’homme à tout faire ou de concierge privé au service des dirigeants de l’entreprise. (CA Paris, pôle 6, ch. 11, 2 juin 2020, n° 18/05421)
- Le simple non-respect de l’obligation de sécurité par l’employeur peut constituer un harcèlement moral. Ainsi, une cour d’appel a estimé que l’attitude de l’employeur, qui a consisté à ignorer les préconisations du médecin du travail en confiant de manière habituelle au salarié une tâche dépassant ses capacités physiques eu égard à son état de santé, a mis en péril cet état de santé et caractérisé un harcèlement moral. Les juges se sont ainsi fondés exclusivement sur le non-respect par l’employeur des préconisations du médecin du travail pour retenir l’existence d’un harcèlement moral.
Ainsi par exemple, la cour de cassation a considéré que le harcèlement moral pouvait être présumé lorsque l’employeur avait refusé à un salarié pendant son congé de fin de carrière de fournir des outils nécessaires à son activité syndicale en le privant pendant 2 ans d’un accès à l’intranet de l’entreprise, ou encore de lui permettre d’assister aux réunions de délégués du personnel par télé-présence après la reconnaissance de son état de travailleur handicapé et des erreurs systématiques quant au calcul des cotisations de retraite complémentaire et supplémentaire et quant au calcul de l’intéressement et de la participation (Cass. soc., 26 juin 2019, n° 17-28.328)
La cour de cassation considère que le harcèlement moral dont un salarié a été victime avant la signature de la convention de rupture conventionnelle de son contrat de travail ne vicie pas nécessairement son consentement. Il doit prouver en quoi le harcèlement a atteint son consentement (C.Cass. soc., 23 janv. 2019, n° 17-21.550)
En revanche, lorsque le salarié démontre que du fait du harcèlement moral, il vivait une situation de violence morale et qu’il a subi plusieurs troubles psychologiques en résultant, son consentement a été vicié. (Cass. soc., 29 janv. 2020, n° 18-24.296)
Lorsqu’en présence de faits de harcèlement moral au travail, l’employeur a manqué à son obligation de protection de la santé des employés en s’abstenant de prendre les précautions et les mesures immédiates directes pour stopper les faits de harcèlement qui ont été portés à sa connaissance.
En effet, lorsqu’un salarié dénonce des agissements de harcèlement moral dans l’entreprise, l’employeur est tenu, en raison de son obligation de sécurité, de prendre des mesures.
Le fait, par exemple, de ne pas ordonner d’enquête interne afin de vérifier l’existence d’agissements, que ces derniers soient établis ou non, a pu constituer un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (Cass. soc., 27 nov. 2019, n° 18-10.551).
Selon la cour de cassation, l’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle.
Souplesse jurisprudentielle sur la preuve du harcèlement moral
Le code du travail prévoit en matière de harcèlement moral qu’il appartient uniquement au salarié d’établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, à charge pour l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A ce titre, le juge prendra notamment en compte les documents médicaux éventuellement produits par le salarié ou tout élément lui permettant d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Par exemple, la cour de cassation a récemment considéré que le fait :
Pour l’employeur de ne pas avoir suivi les préconisations du médecin du travail en confiant au salarié des tâches dépassant les capacités physiques du salarié au péril de sa santé laissait présumer l’existence d’un harcèlement moral et que la preuve en était rapportée en l’absence d’élément contraire fourni par l’employeur.
La jurisprudence est également souple côté employeur afin de lui permettre de se défendre d’une accusation de harcèlement moral.
Ainsi, la cour de cassation considère que certaines situations peuvent justifier de porter atteinte à la vie personnelle d’un salarié pour garantir à l’employeur un droit à la preuve de l’employeur sous réserve que cela soit nécessaire et proportionné au but à atteindre (Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 17-19.523).
Pour justifier également le licenciement d’un salarié auteur de harcèlement moral, à la suite d’une enquête interne confiée à une entreprise extérieure intervenue dans le secret, en surveillant le salarié, la cour de cassation a considéré qu’une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral ne constituait pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié (C.Cass, Soc 17 mars 2021).
La jurisprudence considère que l’enquête confiée à l’entreprise externe, qui est destinée à protéger les salariés de l’entreprise, n’a pas à être contradictoire.
Dans le prolongement de cette jurisprudence, le gouvernement a pris un arrêté le 31 août 2021 sur la procédure de recueil et de traitement des signalements d’actes de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel et d’agissements sexistes au sein du ministère de la défense.
Quelles sont les sanctions attachées au harcèlement moral au travail ?
Le harcèlement moral au travail fait encourir au salarié qui est l’auteur de ce comportement non seulement une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à son licenciement mais également des sanctions pénales et civiles car il s’agit d’un délit passible de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 € d’amende (délit propre au droit pénal du travail où les sanctions sont plus lourdes que le harcèlement moral général).
Lorsque le harcèlement moral dont un salarié a été victime s’est accompagnée d’une mesure discriminatoire, l’agissant est puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 €.
La juridiction peut également ordonner, à titre de peine complémentaire, l’affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l’amende encourue.
En outre, la victime peut solliciter des dommages-intérêts à l’auteur du harcèlement en indemnisation de son préjudice.
Par ailleurs, il a été jugé que l’employeur peut être déclaré civilement responsable du harcèlement moral dont est déclaré coupable son préposé sauf à démontrer que le préposé a agi hors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions (Cass. crim., 13 nov. 2018, n° 17-81.398).
Côté employeur, ce dernier doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement moral. Ce devoir découle entre autres de son obligation de sécurité. Le fait, pour l’employeur d’avoir manqué à ce devoir, donne droit à des dommages intérêts au profit du salarié.
Mais surtout, le licenciement du salarié intervenu dans un contexte de harcèlement moral, notamment lorsque ce dernier a été déclaré inapte en raison des agissements dont il a été victime, est nul et permet au salarié de solliciter des dommages intérêts d’un montant au moins égal à 6 mois de salaires bruts, sans qu’aucune limite ne soit fixée (l’indemnité est déplafonnée). Cette sanction a été rappelée récemment par la cour d’appel de Caen (CA Caen, Chambre sociale, 1re section, 16 Décembre 2021 – n° 20/01911).
Mais encore, la cour de cassation a considéré que lorsqu’un salarié est licencié pour absence prolongée et perturbation du fonctionnement de l’entreprise, alors que son absence a pour origine les faits de harcèlement moral qu’il a subi, son licenciement est nul (Cass. soc., 30 janv. 2019, n° 17-31.473)
La cour de cassation considère que le montant des dommages-intérêts dus au salarié victime de harcèlement moral n’a pas à être minoré en raison de l’attitude du salarie victime (C.Cass. soc., 13 juin 2019, n° 18-11.115)
Un salarié victime de harcèlement moral qui demande pour ce motif la nullité de son licenciement, peut demander la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi dans les 5 ans qui suivent le prononcé du licenciement. (Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-21.931)
Ce n’est pas parce qu’un salarié dont la maladie professionnelle résultant de faits de harcèlement moral a été reconnue et qu’il en est indemnisé qu’il ne peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant des faits de harcèlement moral. Cass. soc., 4 sept. 2019, n° 18-17.329
L’absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n’est pas exclusive de la mauvaise foi de l’intéressé, laquelle peut être alléguée par l’employeur devant le juge.
Comment un avocat peut-il intervenir dans un cas de harcèlement moral au travail ?
Un avocat en droit du travail peut intervenir dans des cas de harcèlement moral au travail de plusieurs manières. Il peut :
- Conseiller le salarié victime : L’avocat aide à constituer un dossier solide en identifiant les preuves (témoignages, documents médicaux, échanges écrits) et en préparant les éléments nécessaires pour présumer l’existence de harcèlement moral.
- Assister lors des négociations : Si une résolution amiable est envisagée, l’avocat peut négocier avec l’employeur pour obtenir une compensation ou une amélioration des conditions de travail.
- Représenter le salarié au prud’hommes : Dans les cas où une action judiciaire est nécessaire, l’avocat représente le salarié devant le conseil de prud’hommes pour réclamer des dommages et intérêts, la réintégration ou d’autres compensations.
- Défendre l’employeur accusé de harcèlement : L’avocat peut également être mandaté pour prouver que les actes reprochés ne constituent pas un harcèlement moral, en démontrant des justifications légitimes et en répondant aux accusations avec des preuves objectives.
En résumé, la jurisprudence encadre et définit précisément le harcèlement moral au travail, offrant aux salariés une protection de leurs droits tout en permettant aux employeurs de se défendre contre les accusations non fondées. Dans ce contexte, un avocat expérimenté peut être un soutien indispensable pour orienter et accompagner chaque partie, que ce soit dans la défense des victimes ou dans celle des employeurs.
POINTS CLÉS À RETENIR
- Le harcèlement moral englobe des comportements répétés qui dégradent les conditions de travail et affectent la dignité ou la santé du salarié.
- La jurisprudence exige la répétition des comportements, leur interdiction explicite, et une dégradation concrète des conditions de travail pour caractériser le harcèlement.
- L’employeur a une obligation de sécurité envers ses employés et doit prendre des mesures immédiates pour prévenir et gérer les situations de harcèlement moral.
- Le salarié victime de harcèlement moral peut obtenir réparation, y compris en cas de licenciement nul lié aux faits de harcèlement.
- Le harceleur encourt des sanctions disciplinaires et pénales pouvant inclure une amende et des peines d’emprisonnement.
- L’obligation de sécurité et de prévention pour l’employeur est distincte de l’interdiction du harcèlement mais doit être respectée pour éviter des sanctions.
- Un avocat spécialisé aide à constituer le dossier, négocier et représenter le salarié ou l’employeur en cas de litige.